Hippocampe Fou

par | 29 Mai 2018 | Rappelle-Moi Poésie | 0 commentaires

Le rappeur Hippocampe Fou était en concert jeudi 17 mai à Nantes. Nous l’avons rencontré à La Cantine du Voyage avant sa montée sur scène. Le temps de parler poésie, enfance, danse linguistique, Mozart et rap hardcore. Entretien terre à terre avec quelques folles envolées.

 

Si tu devais définir la poésie en quelques mots…

Je dirais que c’est de la danse linguistique. Savoir faire danser les mots, jouer avec la langue et les émotions, jouer avec ce qui nous touche.

 

Quel rôle a joué la poésie dans ton parcours ?

Ça m’a fait travailler la mémoire quand j’étais en primaire. Ça m’a montré qu’un certain enchaînement de mots pouvait créer une émotion particulière. J’ai compris que chaque mot avait son importance. Je trouvais incroyable qu’une simple association de mots puisse avoir une force de percussion à la fois sur le fond et la forme.

Tu viens de sortir ton 3ème album, TERMINUS, qui fait suite aux albums “Céleste” et “Aquatrip”. Comment se sont construits les différents univers de ce triptyque ?

Ça s’est fait naturellement. Je me laisse porter, je flâne… Parfois un simple mot m’inspire parce que la sonorité me plaît… et ça me donne envie de creuser. Je n’ai pas l’habitude de planifier ni de calculer. Même mon pseudo “Hippocampe Fou” m’est venu un peu par hasard, de façon quasi anecdotique. Cela dit, une fois qu’une idée me plaît et que je décide de me lancer, j’aime bien être cohérent et aller jusqu’au bout des choses. J’aime les œuvres qui sont cohérentes du début à la fin. Je comprends qu’un artiste puisse avoir besoin de se renouveler, mais j’aime que cette évolution s’inscrive dans une certaine logique. C’est mon côté George Lucas. (rires).

 

Quand tu arrives en concert et que tu veux jouer tes anciens morceaux, ça peut paraître bizarre auprès de certains fans de la première heure. Du coup, tu dois réinventer ces anciens morceaux pour qu’ils s’intègrent bien à ton nouveau répertoire. Je dois trouver une manière de jouer chaque morceau pour qu’il soit toujours d’actualité et qu’il sonne juste. Au début d’une tournée, on cherche toujours cet équilibre. Là nous venons de commencer la tournée, je fais encore le bon élève : je veille à jouer mes morceaux de façon très appliquée. Mais concert après concert, le spectacle devient mieux rôdé, ce qui me permet de me libérer davantage sur scène. Je deviens moins tributaire du rythme et je me lâche un peu plus.

 

“Underground”, le premier extrait de ton nouvel album, est une mise au point assez directe et brute sur la réalité du métier d’artiste. Pourquoi ce ton plus terre à terre ?

Le mot d’ordre de l’album, c’était la sincérité. Je voulais être terrestre, voire souterrain. Le côté “mise au point” de ce premier titre faisait écho à l’underground, à la caverne, une sorte d’introspection. J’ai voulu me mettre plus à nu, être moi-même. Bien sûr il y aussi quelques touches de légèreté… Mais j’ai surtout voulu parler de moi, le plus souvent à la première personne. J’avais besoin de me recentrer. C’est encore plus flagrant dans le morceau “Triste” où j’ai voulu exprimer tout ce qui me désole et m’attriste profondément. C’est un morceau qui parle de moi mais aussi du monde qui m’entoure. Au début j’avais peur de faire ce morceau, j’avais peur qu’il soit trop autocentré, trop égoïste. Je me disais : “est-ce que ça ne fait pas trop petit mec de classe moyenne qui se plaint pour rien ?” Mais quand je l’ai enregistré en studio, il s’est passé quelque chose de spécial. J’ai senti que je devais le faire, je me suis donné le droit de le faire.

Je pense qu’il y a beaucoup de tristesse autour de nous, notamment dans les grandes villes…  mais on se forge une carapace pour ne pas se laisser atteindre par tout ça. C’est peut-être une forme de pudeur aussi. On croise tellement de souffrance, tellement de misère… On finit parfois par se dire que ça ne peut pas exister, on refuse de voir… Comme si on voulait s’en protéger. Je suis capable de voir un mec affamé dans la rue, passer mon chemin sans rien ressentir… et quelque temps après de pleurer au cinéma en voyant un film qui me bouleverse. Cet effet cathartique du cinéma ou de toute oeuvre d’art est parfois nécessaire pour qu’on ose exprimer nos réelles émotions, mêmes les plus enfouies. Ce titre “Triste” est très important pour moi. J’ai eu la chair de poule en l’enregistrant et je me suis rendu compte que ça me faisait du bien d’être vrai à ce point. Ce titre a donné un peu la couleur pour l’ensemble de l’album : ce mélange de sensibilité et de sincérité.

J’ai voulu m’attaquer à des sujets qui me tiennent à cœur mais qui ne sont pas toujours simples à aborder. La chanson “Underground” est réellement née d’une discussion avec ma femme. Malgré le soutien qu’elle me porte, j’avais senti chez elle une forme de résignation, comme si elle se demandait pourquoi je faisais tout ça, pour quoi je me donnais tout ce mal pour faire de la musique qui ne marche pas, qui ne se vend pas beaucoup. Au fond de moi, j’ai d’abord pensé que j’étais fini, que je ne la faisais plus rêver (rires). Je me suis posé pas mal de questions : pourquoi ma musique ne marche pas ? qu’est-ce qui ne va pas ? est-ce que c’est ma voix ? est-ce que je suis trop fainéant ? etc. Je ne voulais pas me dire que c’était de la faute de telle maison de disque ou de telle radio… C’est moi que j’ai remis en question en premier lieu. En fin de compte, je me suis dis que ça ne servait à rien de me tourmenter à ce point. Le plus important, c’est que j’aime ce que je fais et que je le fais avec sincérité. Que je vende beaucoup d’albums ou pas, je prends un plaisir fou à faire de la musique.

 

Donc le premier single ‘Underground” est un clin d’oeil à ces moments très introspectifs…

Exactement. Au début j’ai même pensé à appeler l’album “Underground”, mais je me suis dit que si jamais il se vendait bien, je n’échapperais pas à des remarques du genre : “ouais, t’appelles ton album Underground alors que tu passes en radio !” (rires).

 

Tu as le sentiment d’avoir réalisé l’album qui te correspond le mieux ?

Peut-être. Je préfère être fidèle à ce que je suis au moment où j’écris les choses et au moment où je suis sur scène. J’essaye de ne pas tricher avec ça. Au début de mon parcours j’avais plutôt tendance à aller dans la caricature, dans l’excès d’humour… parce que c’était quelque chose qui ne se faisait pas beaucoup il y a une dizaine d’années. Ça a tout de suite bien marché pour moi : ça montrait que j’étais imaginatif et que je n’avais pas peur de l’autodérision. Aujourd’hui j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus d’artistes dans ce créneau “légèreté et autodérision”. C’est devenu un peu une mode, je trouve. Du coup, j’ai eu le sentiment qu’il était peut-être temps que je passe à autre chose. Plutôt que de suivre la mode, j’ai voulu m’inscrire pleinement dans mon présent, dans ma réalité : aujourd’hui j’ai 34 ans, je suis marié et papa de deux enfants. Il m’arrive de plus en plus d’avoir envie de passer une soirée tranquille à la maison, à discuter avec des amis. La première fois que ça m’est arrivé, je me suis dit : “ça y est, c’est foutu… je suis devenu un vrai daron !” (rires). Mais c’est pas grave, je dois assumer ça.

 

Et quand on est sincère, ça se sent dans la voix, dans la façon d’être et de travailler avec les autres. Pour ce 3ème album j’ai été bien entouré, mes musiciens ont compris quelle direction je voulais prendre.  On a pu échanger et proposer des choses qui correspondaient à ce que je voulais vraiment. Max Pinto m’a beaucoup apporté dans ce sens : sa recherche de sons purs avec de vrais instruments a été une des clés de l’album. Aujourd’hui, beaucoup de musiques se font avec des techniques numériques sophistiquées qui se démodent très vite car elles elles sont en constante évolution. Revenir à des sons très basiques correspondait bien à cette sincérité que je recherchais. Ça donne un aspect plus intemporel à la musique.

C’est le plaisir qui te guide avant tout…

Oui… et l’envie que les choses aient du sens pour moi. Je pense que je n’ai jamais vraiment fait de la musique pour faire plaisir au public, mais pour essayer d’être moi et de m’amuser. Bien sûr, j’ai participé à des projets annexes où je cherchais à me tester, à explorer d’autres voies, à lâcher prise. J’ai participé à des morceaux qui étaient de simples exercices de style, histoire de me prouver des choses aussi. J’ai enregistré des morceaux où je fais admirer ma technique au micro, ma capacité à rapper très vite, à écrire des textes “sales”, vulgaires ou hardcore. C’était ma façon de dire à un certain public : “si vous aimez ça, je peux le faire, j’en suis capable… mais ça ne m’intéresse pas vraiment”. Quand on rappe trop vite et que la musique devient uniquement une question de prouesse technique, le texte peut perdre de son sens et de sa portée. On ne s’attarde plus sur ce qu’on dit… ça devient juste des paroles en l’air. C’est de la frime. En revanche, il suffit parfois que je ralentisse le tempo, que je prenne le temps de faire respirer chaque phrase… pour que je retrouve le sens de ce que j’ai voulu dire. Mon interprétation devient alors plus profonde, plus incarnée, plus charnelle aussi.

 

Est-ce qu’il y a un mot que tu trouves beau mais que tu détestes utiliser ?

Pas vraiment… J’adore écouter des rappeurs qui peuvent être vulgaires, mais je ne me permets pas de l’être moi-même. A vrai dire ne suis pas vulgaire au quotidien non plus. Attention, je n’ai pas envie de passer pour un premier de la classe en disant ça…loin de là ! (rires). A l’école, je n’étais pas vraiment un cancre, mais j’adorais traîner avec des mecs qui étaient un peu irrespectueux, un peu bad boys. Je veillais à me tenir à l’écart de leurs embrouilles, mais j’aimais bien être leur pote. En règle générale, j’aime bien les personnes qui n’ont pas leur langue dans la poche, qui sont très cash. Ma femme est un peu comme ça, c’est aussi pour ça qu’on s’entend bien.

 

Alors oui, je peux aimer la vulgarité… mais uniquement quand elle est bien placée. Si c’est juste gratuit, ça m’intéresse moins. Le rappeur AlKpote est un bon exemple : il me fait beaucoup rire, je trouve certains de ses morceaux très “sales”… mais ça correspond bien à son personnage et ça va bien avec sa musique… du coup j’arrive à apprécier.

Est-ce qu’il y a un mot que tu trouves moche mais que tu adores utiliser ?

J’ai envie d’utiliser tous les mots ! Je trouve qu’il n’y a pas pas vraiment de mot moche. Je pense que chaque mot peut être utilisé de façon juste, à condition qu’on y prête un peu attention. C’est tout l’art de la poésie d’ailleurs : arriver à faire résonner chaque mot pour le sublimer, le réinventer, le faire entendre comme jamais auparavant.

 

Il y a une tendresse presque enfantine dans ta façon de jouer avec la langue, avec les sonorités, d’aimer certains gros mots…

Oui, j’essaie de ne pas perdre cet enfant qui sommeille en moi. Oui, je suis un gosse, avec sa fougue, sa folie, cette liberté parfois un peu naïve de dire les choses et de les ressentir sans trop se prendre au sérieux. Je ne pense pas être un humoriste du rap, mais j’aime le second degré; c’est important de garder une distance suffisante pour ne pas trop se prendre la tête.

 

Est-ce que tu te souviens du premier livre qu’on t’a offert ?

Je me rappelle du livre avec lequel j’ai appris à lire, c’est ma mère qui me l’a offert : “la princesse et son petit pot” (Je veux mon p’titpot, de Tony Ross, 1987. NDLR). L’histoire me faisait marrer et je l’ai apprise par cœur. Plus tard, j’ai adoré “Le prince de Motordu” mais aussi l’univers de Roald Dahl… ça m’a beaucoup nourri.

 

Tu te souviens de la dernière fois que tu as vécu, lu, vu ou écouté quelque chose qui t’a laissé littéralement sans voix ?

Oui ! C’est quand j’ai vu le clip “This is America”, de Childish Gambino. Mais l’artiste qui me bluffe le plus, c’est Stromae. J’aime sa façon de mélanger les genres, de chercher le juste équilibre entre la chanson, le hip hop, l’électro… Il me bouleverse et me donne la chair de poule. Si j’étais Salieri, il serait mon Mozart… c’est sûr ! Je le trouve incroyablement fort mais surtout très inspirant. Je pense qu’on a besoin d’artistes comme lui qui nous galvanisent, qui nous donnent envie d’aller plus loin. Ce sont des figures marquantes qui permettent de construire son propre chemin.

 

As-tu des projets à moyen ou long terme qui te tiennent à coeur ?

Faire le tour du monde comme tout le monde (rires)… et peut-être réaliser un ou deux films. J’ai un projet que je vais commencer à faire vivre l’année prochaine. C’est en cours et ça s’annonce bien. Mais c’est très ambitieux, donc je ne vais pas en dire plus. En tout cas ce sera une transition parfaite entre la musique et le cinéma.

Si tu devais donner envie qu’on vienne te voir en concert en quelques mots, ça donnerait quoi ?

Je dirais que mon concert est généreux, énergique, tonifiant, insolite, merveilleux, sale, thérapeutique… et nécessaire.


Propos recueillis par Juliette Allauzen et Catel Tomo / Photos de Cloé de Ryck

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